Dans un premier temps, les autorités israéliennes avaient autorisé la visite de deux députées démocrates américaines, Ilhan Omar et Rashida Tlaib, en Israël et en Cisjordanie. Avant de changer d’avis, jeudi, et de leur interdire l’entrée sur le territoire, les accusant « de provocations et de promotion du BDS » (Boycott, désinvestissement et sanctions), cette campagne internationale appelant au boycott économique, culturel ou scientifique d’Israël pour protester contre l’occupation des Territoires palestiniens.
Vendredi, le ministre de l’Intérieur israélien annonçait finalement qu’il allait autoriser la venue de Rashida Tlaib, d’origine palestinienne et qui devait rendre visite à sa famille en Cisjordanie, pour motif « humanitaire ». Selon un communiqué du ministère, la députée du Michigan a « promis de ne pas faire avancer la cause du boycott contre Israël durant son séjour ». Mais quelques heures plus tard, nouveau rebondissement : Tlaib annonce, sur Twitter, qu’elle refuse de se rendre en Israël dans ces « conditions oppressives », accusant l’Etat hébreu de vouloir l’« humilier », de la « forcer à [s]’incliner devant ses politiques racistes », de la « réduire au silence et de [la] traiter en criminelle ».
« Pression ».
Les deux députées, premières femmes musulmanes du Congrès élues en novembre lors des élections de mi-mandat, figures de l’aile gauche du Parti démocrate et farouches opposantes à Donald Trump, se sont distinguées à plusieurs reprises de l’establishment démocrate par leurs positions propalestiniennes. « L’autorisation, par Israël, de la visite des représentantes Omar et Tlaib serait un grand signe de faiblesse. Elles détestent Israël et le peuple juif, et il n’y a rien qui puisse être dit ou fait qui les fera changer d’avis », avait tweeté le président américain, peu avant l’annonce du revirement de l’Etat hébreu jeudi, à propos de ses deux bêtes noires. Mi-juillet, il avait intimé à ces citoyennes américaines issues des minorités de « rentrer dans leur pays ». Pour l’élue du Minnesota Ilhan Omar, pas de doute : cet « affront » du Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a été décidé « sous la pression de Donald Trump », affirme-t-elle dans un communiqué.
La décision des autorités israéliennes de barrer l’accès à des élus du Congrès des Etats-Unis, premier allié d’Israël, était inédite. L’Etat hébreu accueille régulièrement des délégations américaines - 72 députés, dont 41 démocrates, y étaient cette semaine -, symbole de la proximité entre les deux pays. « Israël est ouvert aux visites à une exception près, celle de gens appelant et militant pour son boycott », avait rétorqué Benyamin Nétanyahou en pleine campagne, à un mois des élections législatives. Selon le Premier ministre israélien, leur itinéraire (Bethléem, Hébron, Ramallah, ou encore l’esplanade des Mosquées, à Jérusalem) « révélait que l’unique objectif de leur visite était de renforcer le boycott contre [le pays] et de contester la légitimité d’Israël ». Le ministère de l’Intérieur avait justifié sa décision sur la base d’une loi votée l’an dernier à la Knesset, le Parlement du pays, permettant d’interdire l’entrée sur le sol israélien aux partisans du mouvement BDS, que le gouvernement assimile à une menace stratégique. L’ambassadeur américain en Israël, David Friedman, a soutenu la décision, affirmant que le pays « avait tous les droits de protéger ses frontières » contre les promoteurs de boycotts.
« Revirement ».
Le veto israélien a pourtant été très vivement critiqué aux Etats-Unis. « Aucune démocratie ne devrait refuser l’entrée sur son territoire à des visiteurs en se basant sur le contenu de leurs idées, écrit sur Twitter l’ancien vice-président Joe Biden, l’un des favoris des primaires démocrates pour l’élection de 2020. Et aucun leader du monde libre ne devrait encourager [un pays] à agir ainsi. » La speaker de la Chambre des représentants, la démocrate Nancy Pelosi, a qualifié dans un communiqué le « revirement » israélien de « triste et profondément décevant ». « Le racisme de Trump et la dépendance de Nétanyahou nous ont conduits jusqu’ici : Israël manque de respect au Congrès et semble avoir peur de dialoguer avec des Américains qui sont en désaccord avec lui », écrit dans The Atlantic l’ancien ambassadeur américain en Israël pendant les années Obama, Daniel Shapiro.
Plusieurs organisations juives américaines ont également déploré la décision israélienne. Refuser l’accès au territoire à Omar et Tlaib « ne peut que durcir leurs positions actuelles, tout en insultant le Congrès américain, exacerbant les divisions partisanes à propos d’Israël, et en créant un dangereux précédent », a regretté le Israel Policy Forum. Même le lobby américain pro-israélien Aipac, traditionnellement aligné avec Trump, a condamné sur Twitter la décision de l’Etat hébreu. Rappelant son opposition au « soutien pour le mouvement anti-israélien et anti-paix BDS » des élues, le lobby affirme que « tout membre du Congrès devrait être en mesure de se rendre chez notre allié démocratique Israël pour le découvrir en personne ».